TRIBUNE LIBRE – Jon Herriberri, membre du comité de soutien à Pinar Selek évoque la récente condamnation par la justice de son pays de l’auteure turque réfugiée dans l’État français. Elle sera présente ce jeudi 30 juin à la librairie Chez Simone à Bayonne.
Plus que jamais témoignons notre solidarité à Pinar Selek ! Et aussi à travers elle à celles et ceux qui, en Turquie, traversent “un tunnel de l’horreur”. Notre amie, réfugiée en France, vient d’apprendre la terrible nouvelle de sa condamnation à perpétuité de la bouche de ses avocats. À croire que, comme l’écrivait René Depestre dans un poème adressé au poète Nazim Hikmet : “Il est à la lisière de l’Orient un pays où une poignée de corsaires, à chaque lever de soleil, diluent l’épouvante dans la vie des hommes”.
L’écrivaine-sociologue originaire de Turquie sera ainsi parmi nous à Bayonne (librairie Chez Simone ce jeudi à 19 heures), accompagnée cette fois-ci de son dernier roman Azucena et les fourmis Zinzines. Toutes celles et ceux qui ont assisté à l’une de ses conférences au Musée Basque de Bayonne, ou bien encore à l’occasion des festivals d’Errobiko et d’Ainarak peuvent en témoigner ; Pinar Selek est une personnalité d’une grande générosité, dotée de véritables dons de conteuse. Capable d’insuffler et de transmettre des ondes positives de saine rébellion ! “Aussi, que les Pinocchio de plomb et les Pinochet bottés (ceux-là-mêmes qui meurent, bien souvent, de mort lente) le sachent : nul ne prendra son sourire et son énergie !” Phrase que Pinar Selek a prononcée suite à une énième condamnation par la justice de son pays, extraite de Loin de chez moi mais jusqu’où, un opus édité par son comité de soutien où sont évoqués la douleur de l’exil et, aussi, le refus d’être prisonnière “dans le moule du patriarcat”. “Je me suis familiarisée à d’autres espaces, d’autres pays, d’autres horizons”, dit-elle. Tout le contraire que de s’enfermer dans ce qu’elle nomme l’“identité arrogante”. Pinar Selek défait les frontières artificielles, s’attaque aux diverses dominations.
Pour qui ne la connaîtrait pas encore
D’Istanbul jusqu’à Nice, Pinar Selek n’a cessé de coupler ses recherches universitaires à des combats en faveur de la paix et de la justice sociale. En Turquie, à l’époque où elle était étudiante, elle a longtemps vécu avec des enfants de la rue. Peu à peu, Pinar est devenue une grande sœur pour ces enfants et une figure reconnue au-delà d’Istanbul. Des coopératives artistiques et des lieux alternatifs, qu’elle a mis en place avec des proches, ont été régulièrement mis à sac par la police… avant de refleurir ailleurs. Et, tout comme les personnages d’Azucena et les fourmis Zinzine, elle a semé des graines là où elle a posé ses valises. “Nous avons établi des demeures provisoires, expérimenté, toujours avec des amis.” Elle s’est également intéressée aux divers rapports de domination dans son pays, ce qui l’a amenée à travailler sur la question kurde. Raison pour laquelle elle a été emprisonnée et torturée. Et, par la suite, jugée et acquittée à cinq reprises, harcelée par un État souhaitant punir une féministe critiquant le militarisme et l’oppression à l’égard des minorités. Et parlant aussi de paix et de justice sociale.
Malgré l’exil forcé et l’éloignement de ses proches, sans compter les menaces en tous genres, Pinar Selek se refuse à se laisser aller à la nostalgie. Et, comme le disait le fondateur du journal Anarchie Albert Libertad, “ne troque pas une part d’aujourd’hui par une part fictive de demain”. L’utopie qui l’inspire se trouve ici-même, là où elle vit au présent ! Pinar Selek milite et crée inlassablement des ponts entre les personnes. Comme lors de cette grande marche des femmes à Nice l’an passé dont elle est à l’initiative (Toutes aux frontières “une marche pour ouvrir la porte à tous, femmes, femmes migrantes, hommes, de toutes sexualités, de toutes nationalités”). La politique, aime-t-elle dire, consiste à “faire des miracles”. Une politique faite par toutes et tous, à la base. Comme le fait cette pharmacienne dans sa Maison du Bosphore en ouvrant en grand les portes de son commerce aux habitants du quartier, qui trouvent là une sorte d’agora où bien des sujets sont abordés. Et, aussi, tels les personnages du roman qu’elle présentera ce jeudi à Bayonne. Un nouveau livre dans lequel elle tisse, indéfectiblement, des petites histoires de vie et de résistances quotidiennes. Se faisant la porte-voix de celles et ceux qui refusent de courber l’échine et plantent des graines de liberté. Celles et ceux qui disent non à la logique inhumaine de ce système capitaliste. Squatteurs, zadistes, artistes, marginaux et utopistes, ceux qu’elle appelle des lucioles. Bourdonnants de vie, ces personnages vont à la quête du bonheur – fait de petites choses minuscules, disait Giono -. Mais un bonheur inconcevable sans solidarité, sans amour, sans transmission de savoirs. À des années- lumière de cette identité arrogante flattée par les États autoritaires. Et qui voudrait interdire l’existence d’autres cultures et d’autres langues, et qui en Turquie nie notamment l’existence du génocide arménien et réprime toutes les minorités, en premier lieu les Kurdes et les femmes. Cette “identité arrogante” qui a conduit à l’assassinat du journaliste et ami de Pinar Selek Hrant Dink. (lire le bel essai de Pinar Selek Parce qu’ils sont arméniens). Ou encore à la condamnation à 17 ans de prison d’une chanteuse, Nudem Durak, pour le simple fait d’avoir chanté dans sa langue natale, en kurde. Et aussi que de milliers de journalistes, de militants, d’artistes emprisonnés sont actuellement en grève de la faim en Turquie. Cette arrogance d’États de plus en plus autoritaires et dictatoriaux.
À l’heure où les droits des femmes sont attaqués partout dans le monde, et notamment en Turquie avec le retrait par l’État de la convention d’Istanbul. À l’heure où de nouvelles formes de résistance voient un peu partout le jour dans le monde, cette rencontre avec Pinar Selek est une belle occasion d’aborder bien des sujets importants, éclairants. Aussi recevons comme il se doit notre amie. Puisse-t-elle sentir toute notre affection et notre solidarité. Et combien ses combats pour la justice nous touchent, sont pour nous exemplaires. Bai, ongi etorri Baionara gure laguna. Bienvenue au Pays Basque, pour nous aussi tu es comme une sœur !
“Bihotza bezain bero zabalik besoak eta eskuak gorririk ikus dezagun egia argiz beterik burua” (poème de Joxean Artze).
“En nous se trouve le soleil / L’obscurité et la glace / Que la lumière peut déchirer / Que le cœur fera fondre.”
https://www.mediabask.eus/eu/info_mbsk/20220630/reservons-un-bel-accueil-a-pinar-selek