Pinar Selek devra encore attendre jusqu’au 11 juin : ce midi, après une audience, la Cour de cassation turque a annoncé que sa décision sur la condamnation de la sociologue serait rendue dans plus d’un mois
« Les amis, on vient d’avoir des nouvelles. » Dans les locaux de l’Astu, association turque de Strasbourg, le silence s’est fait d’un coup au-dessus des verres à thé. « La Cour de cassation va rendre sa décision le 11 juin », continue Pinar Selek, penchée au-dessus de l’ordinateur qui lui permet depuis le début de la matinée de communiquer avec ses amis et avocats présents à l’audience à Ankara.
« Ça fait 16 ans que j’attends… »
Condamnée à la prison à vie en janvier 2013, elle risquerait gros en rentrant en Turquie. En exil en France, c’est à Strasbourg et son université qu’elle a élu domicile.
Le silence met un peu de temps à se dissiper. La vingtaine de personnes présentes pour soutenir la sociologue espérait une décision le jour même. Tous font en cet instant le même calcul : le 11 juin, c’est dans 6 semaines.
« Patience… Patience… Patience… », lâche Pinar Selek, fataliste autant qu’habituée : « Ça fait 16 ans que j’attends… » 16 ans depuis cette explosion sur un marché d’Istanbul pour laquelle elle est très vite soupçonnée de complicité. La seule personne qui l’accuse se rétracte très vite et très catégoriquement, une enquête conclut que l’explosion était accidentelle et non terroriste, mais les poursuites contre la chercheuse continuent.
En tout, deux ans de prison, 4 condamnations, trois acquittements en appel. Et 16 années de lutte, donc, auxquelles s’ajoutent les 6 semaines à venir.
« Une mise en délibéré laisse la possibilité d’une interprétation politique de la décision… », glisse, sceptique, un membre du comité de soutien, inquiet d’une ingérence de l’État d’Ankara. « Il est temps que cet acharnement judiciaire s’arrête et que la justice turque nous montre qu’elle peut être capable d’indépendance », ajoute Gabriel Amard, candidat du Front de gauche aux européennes, présent pour l’occasion.
« Un demi-espoir »
« Je ne sais pas comment interpréter ça, articule patiemment Pinar Selek. On ne sait pas si la décision est prise d’avance. Je vais réfléchir, ce soir, je vais discuter avec mes avocats. Mais je ne suis pas pessimiste : mon livre parle de “demi-espoir”, et en ce moment c’est ça. »
Elle respire un grand coup, réfléchit en levant les yeux, et continue doucement : « Pour aujourd’hui je n’espérais rien. C’est compliqué les sentiments, il y en a plein qui se présentent en même temps. Il n’y a pas un mot qui peut résumer comment je me sens. Mais je me sens forte. »
Et il vaut mieux l’être. Car si le 11 juin la Cour d’Ankara apporte « une bonne nouvelle, ça ne veut pas dire que je suis acquittée, ça veut dire que le procès va reprendre » pour revenir sur la décision de janvier 2013, résume Pinar Selek sans pouvoir réprimer le rire que lui inspire l’absurdité de la chose.
Le résultat signifiera donc soit un exil à vie soit la poursuite du combat. Alors, de la même façon qu’elle communique avec la quinzaine de Strasbourgeois partis la soutenir à Ankara, la chercheuse se tourne vers ses soutiens présents dans la salle, pour les remercier : « Grâce à la solidarité en Turquie, en France, dans le monde entier, je peux respirer. Je n’ai jamais été seule. La lutte n’affaiblit pas, elle renforce. »
Anne-Camille Beckelynck
http://www.dna.fr/justice/2014/04/30/patience-encore-pour-pinar-selek