INTERVIEW – La communauté arménienne s’apprête à commémorer les cent ans du génocide. Un drame omniprésent au sein de la société turque, comme en témoigne Pinar Selek, une sociologue exilée en France.
« Etre arménien en Turquie, c’était déambuler sans révolte sur des avenues baptisées du nom de gouvernants responsables du génocide. » Pinar Selek n’a pas attendu le centenaire des massacres qui se sont déroulés dans l’Empire ottoman, commémoré ce vendredi, pour s’emparer du sujet. Cette dissidente turque, née à Istanbul, est engagée depuis des années pour la défense des droits des minorités dans son pays.
Un combat qui bascule en 1998 : accusée à tort d’avoir participé à un attentat ayant fait sept morts, elle se réfugie en France où les autorités lui accordent l’asile politique. Depuis, la sociologue poursuit ses recherches et vient de publier Parce qu’ils sont arméniens*, réflexion sur la perception du génocide dans la société turque.
Malgré les témoignages et les preuves, la Turquie nie toujours l’existence du génocide. Pourquoi ce tabou ?
Ce tabou se casse peu à peu mais pas dans la classe politique, seulement dans la société. Il se brise grâce aux luttes sociales qui ont beaucoup progressé et à tous ceux qui résistent à la répression des autorités. Avant, l’hégémonie de l’Etat écrasait. Depuis une dizaine d’années, il y a une réelle évolution. Mais cela ne résout pas le problème : certes, les combats deviennent plus visibles et les manifestations se multiplient mais un siècle après le génocide, ces avancées ne sont pas suffisantes.
Est-il toujours compliqué, en 2015, d’être un Arménien en Turquie ?
C’est toujours le cas, oui. Moins qu’avant car la résistance gagne du terrain. Mais au-delà d’être Arménien, il est surtout compliqué de continuer à être « humain ». Des massacres continuent, comme en Irak ou en Syrie, et nous sommes incapables de résoudre le premier génocide du XX siècle !
Selon un sondage de la Fondation de la mémoire de la Shoah, 33% de la jeunesse turque reconnaît ce génocide…
Cette reconnaissance est une bonne chose pour les Turcs mais cela n’est pas suffisant. Il y a dans ce pays un formatage depuis le plus jeune âge, un nationalisme synonyme de maladie. Il empoisonne les citoyens dès leur enfance.
Comment se fait-il que très peu de pays reconnaissent ce génocide ?
Tout le problème est là. Il y a certes quelques pays qui commencent à franchir le pas mais leur rareté est toujours une honte pour la communauté internationale. Cela s’explique principalement par des intérêts économiques avec la Turquie, des enjeux politiques qui empêchent plusieurs pays de franchir le pas.
*Parce qu’ils sont arméniens, de Pinar Selek, aux éditions Liana Levi