Pinar Selek, féminisme acrobatique et poésie de combat

Née en 1971 à Istanbul, Pinar Selek est écrivaine, sociologue et militante turque. Exilée en France après avoir fui la dictature et la prison turque, elle nous parle de son expérience, ses combats et sa vision d’un monde en phase, selon ses propres mots, de « rhinocérisation ». Un entretien exclusif avec Christian Rinaudo et Eric Mangion pour Switch (on Paper).

Issue d’une « famille aisée, lettrée et blanche », Pinar (prononcer P’nar) Selek grandit dans un esprit libertaire. La pharmacie de sa mère et la maison familiale sont des « foyers collectifs » où toutes sortes de personnalités viennent débattre et refaire le monde. Suite à l’arrivée au pouvoir du général Kenan Evren le 12 septembre 1980, son père, avocat, est emprisonné arbitrairement pendant 5 ans. Pinar Selek passe sa jeunesse sous la dictature. Elle écrit très tôt des contes pour enfants, s’inscrit à l’université d’Ankara, mais c’est dans la rue, notamment auprès des Tinerji (« ceux qui consomment du solvant »), qu’elle va véritablement apprendre le fonctionnement du monde. Ces jeunes mendiants, toxicomanes et petites frappes pour la plupart, l’accueillent chaleureusement. Elle fréquente dans la foulée des prostituées, la communauté LGBTI d’Istanbul. Elle réunit toutes ces personnes dans l’« Atelier des artistes de rue » qu’elle crée avec les moyens du bord en 1995. Cette expérience in vivo restera le fondement de ses recherches et de sa pensée. Ses premiers livres témoignent de cette méthode : Où est le Chiapas de la Turquie ? (1995) ou Masques, cavaliers et nanas. La rue Ülker : un lieu d’exclusion (2001). La rue Ülker était, avant la gentrification stambouliote des années 2000, la rue où se concentrait la prostitution transsexuelle. Pinar Selek commence également à fréquenter des communautés arméniennes et surtout kurdes. Elle est à son tour emprisonnée le 11 juillet 1998, accusée d’ « appartenance à une organisation illégale » (en l’occurrence le PKK, « Parti des travailleurs du Kurdistan »), puis d’acte de terrorisme. Elle passe deux ans et demi sous les verrous et la torture. Même meurtrie, elle poursuit son exploration de la vie en prison, les rituels, les gestes et la solidarité qu’elle y découvre. Libérée sous caution, elle doit faire face à un procès aussi inique que rocambolesque, toujours en cours aujourd’hui. Elle co-fonde en 2003 la revue féministe Amargi, délibérément ouverte à des réflexions plus larges telles que l’écologie sociale. Maintes fois menacée, elle quitte à contrecœur la Turquie le 7 avril 2009, d’abord pour l’Allemagne puis pour la France. S’il lui est difficile d’assumer d’emblée son statut d’exilée, en quittant ses proches et son pays, elle décide d’écrire ses premiers romans, tout en poursuivant ses recherches en sociologie pour enseigner et même devenir docteure en sciences politiques en 2014. Depuis, Pinar Selek remplit chaque jour son exil d’écrits, de publications, de voyages et d’actions, en militante infatigable d’une humanité dont elle a choisi de ne jamais désespérer.

 

 

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