Au Pays basque, une culture sans frontières et sans tabous se renforce de plus en plus. Les résistances tournées vers la création et la liberté, en mettant en question les modes de contestation traditionnels, œuvrent à une nouvelle forme de vie et d’expression.
Je suis au Pays Basque. Dans une résistance incontrôlable. Car c’est une résistance complétement poétique et c’est incontrôlable la poésie. Depuis deux jours, je me ressource à Errobiko Festibala, dans le village Itxassou, qui crée un orchestre étonnant de musique, de poésie, de peinture, de danse, de théâtre, de philosophie et aussi de sociologie. Et ce n’est pas par hasard que ce festival a été inauguré par une conférence-spectacle suivie d’un vif débat sur la domination masculine et que chaque jour démarre avec une conférence-spectacle sur le même sujet.
Car, dans le Pays basque, une culture sans frontières et sans tabous se renforce de plus en plus. Les résistances tournées vers la création et la liberté, en mettant en question les modes de contestation traditionnels, œuvrent à une nouvelle forme de vie et d’expression. Bien sûr, rien ne tombe du ciel, cette transformation s’appuie sur les dynamiques mises en œuvre par les fourmis-cigales depuis longtemps.
Chaque fois que je viens dans cette région, je témoigne d’un mouvement poétique et incontrôlable, mené par les folles et les fous qui développent, en toute liberté, une grande capacité de réflexion, d’amour et de création. Et voilà, encore, dans ce festival Errobiko, les musicien.nes très connus ou pas du tout, celles et ceux qui viennent de loin ou les autres qui portent la culture locale dialoguent pour voyager ensemble au pays des rêves. Comme Mursego et Rédér Nouhaj qui ,avec leurs voix, leurs corps et mille et un instruments, nous ont montré qu’il suffit d’être deux pour créer des miracles. Ce dialogue devient multiple avec d’autres formes de création artistique. Vous croisez plusieurs poètes qui bousculent les empreintes de la routine.
Un nouveau répertoire à la fois artistique et politique est en train d’envahir l’Hexagone, comme les mauvaises herbes, en tout liberté.
« Monsieur Microsoft, Monsieur Apple et leurs amis croient que nos cerveaux sont comme leurs disques durs. Limités et formatables. Mais ils se trompent. Nous sommes bien loin de leurs limites… » disent Itxaro Borda, la grande poète basque et le musicien Ka-Ko qui créent des magies ensemble, des petites et des grandes, durant le festival. Je vous conseille de lire les romans, les nouvelles, les poèmes d’Itxaro Borda. Elle transforme l’espace tout en montrant les dynamiques invisibles de la réalité. Et avec de l’humour. Ses poèmes font partie du vocabulaire quotidien. Tout le monde la connait ici et l’aime. J’ai tout de suite compris cet amour. Itxaro Borda n’écrit pas seulement des poésies bouleversantes, elle est la Poésie. Elle est modeste, elle arrive facilement à se mêler au vent, aux fleurs, aux regards des enfants, aux mains des vieilles personnes. Elle est « la voix nomade qui perce en criant dans le désert »[1] :
« Je te dis
Que ma poésie
Est a-sociale.
Pas de reconnaissance pour moi
Ce jour, ni demain ni après demain
Puisque désormais je suis
L’ombre nomade
Du sacrifié qui chante
Dans le désert ». [2]
Itxaro Borda lit ces vers dans la forêt, entourée des enfants, des jeunes, des vieilles personnes, des arbres, des herbes sauvages… Si Brassens était là, il se mettrait à chanter :
« Je suis de la mauvaise herbe, braves gens, braves gens C’est pas moi qu’on rumine et c’est pas moi qu’on met en gerbe Je suis de la mauvaise herbe, braves gens, braves gens Je pousse en liberté dans les jardins mal fréquentés… »
Mais il n’est pas là. C’est la musique magique de Ka-Ko, une autre ombre nomade, une autre mauvaise herbe qui nous accompagne. Ensuite, je rencontre Manex Lanatua, poète basque qui a quitté tout, son travail, ses habitudes à 70 ans pour donner plus de place à la liberté et à la poésie. Il me chuchote : « C’est dans les marges des prairies qu’il y a la vie, il faut oser être marginal ».
Nous marchons ensemble vers un autre coin, partager une autre création. Je me sens comme une petite fille aux pays des merveilles.
Oui, je sais, je suis grande et je ne veux pas perdre cette sensation de merveille. Ni dans mes luttes, ni dans mon travail, ni dans ma vie de tous les jours. Emma Goldman disait « si je ne peux pas danser à la révolution, je n’irai pas à la révolution ». J’ajouterai une autre condition : « si cette révolution perd sa poésie, je n’irai pas à la révolution ».
J’irai nulle part, sans poésie.
Pinar Selek
[1] Le poème « CREDO » d’Itxaro Borda, dans son livre Le Réveil de Médée et autres poèmes, Bayonne, Maiatz, 2012. Edition bilingue.
[2] Op.cit.
ERROBIKO FESTIBALA 2019 Teaser © Errobiko Festibala