Pinar Selek condamnée à perpétuité

Le verdict est tombé jeudi. Ou plutôt un verdict, le dernier en date d’une longue série qui n’est sans doute pas terminée. La sociologue turque Pinar Selek a été condamnée par la 12e cour pénale du Tribunal d’Istanbul à la réclusion criminelle à perpétuité. Accusée de « terrorisme » et d’avoir manigancé un attentat à la bombe au bazar égyptien d’Istanbul en 1998, Pinar subit depuis 15 ans le harcèlement de l’appareil judiciaire turc. La justice l’avait déjà acquittée à trois reprises mais à chaque fois la Cour de Cassation avait annulé le jugement. Hier soir, Pinar Selek expliquait sur Arte qu’elle avait reçu cette condamnation comme « l’annonce du décès d’un proche ».

L’affaire est kafkaïenne : en dépit des nombreux rapports d’expertise qui ont établi que l’explosion du bazar égyptien qui a fait 7 morts en juillet 1998, était due à une fuite de gaz dans un four, la sociologue est jugée responsable d’un attentat qui n’a jamais eu lieu. En s’acharnant ainsi contre la sociologue, fille d’avocat et petite-fille de l’un des fondateurs du Parti communiste turc, la justice turque se caricature elle-même. Ce procès, qui dure depuis 15 ans (Pinar Selek est âgée de 41 ans), symbolise à lui seul les dysfonctionnements de la  machine judiciaire qui chaque semaine, nourrit l’actualité en Turquie: Ergenekon, le KCK, Pinar Selek, Sevil Sevimli, les procès de journalistes, d’étudiants, et encore cette semaine, celui lancé contre neuf avocats supposés proches de l’extrême gauche… Le système judiciaire turc a été vivement critiquée par le dernier rapport de l’Union européenne et fait l’objet de remontrances récurrentes de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Le nombre de procès et la durée de la procédure contre Pinar Selek en font un cas hors norme.

En réalité, Pinar paraît surtout être l’objet de poursuites en raison de ses travaux universitaires. Sociologue de terrain, elle travaillait dans les années 90 auprès des prostituées et des travestis, des enfants des rues, et des militants kurdes. Militante féministe elle avait fondé la revue Amargi. Au cours des interrogatoires et des séances de torture que lui a fait subir la police turque en 1998- pendaison palestinienne et électrochocs sur la tête- Pinar Selek était sommée de livrer les noms des personnes qu’elle avait interrogées pour ses recherches.

Réfugiée à Strasbourg où elle poursuit sa thèse, après avoir longtemps séjourné à Berlin, Pinar Selek songe aujourd’hui à demander l’asile politique à la France. La municipalité de Strasbourg, l’université, les milieux académiques, lui ont manifesté leur soutien.

Les avocats de Pinar Selek vont faire appel de la condamnation à perpétuité prononcée jeudi. Le feuilleton continue.

Guillaume Perrier

http://istanbul.blog.lemonde.fr/2013/01/25/pinar-selek-condamnee-a-perpetuite/





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