Pinar Selek, symbole malgré elle

Pinar Selek estime que « la Turquie – son pays natal – est devenue une prison. » Le 24 janvier 2013, elle a été condamnée à une peine de prison à perpétuité pour un attentat qu’elle n’a vraisemblablement pas commis…

Tout commence en 1996. À cette époque, alors que les affrontements entre le PKK (la guérilla kurde) et l’armée turque sont extrêmement meurtriers, Pinar Selek entame une recherche sur la question kurde. Au départ, la sociologue connaissait très peu le sujet… Mais elle s’y est intéressée à cause de la tension que connaissait le pays. Pinar commence donc à interviewer des « militants » du PKK.

 14 ans de procédure judiciaire
Deux ans plus tard, le 19 juillet 1998, une explosion se produit sur le marché aux épices d’Istanbul, près de la Corne d’or. Sept personnes sont tuées et plus d’une centaine blessées. Les médias et le gouvernement turc soupçonnent le PKK. Deux jours plus tard, Pinar Selek est placée en garde-à-vue et torturée. La police veut connaître les noms des militants du PKK qu’elle a interrogés dans le cadre de ses recherches. Pinar refuse. Quelques semaines plus tard, en août 1998, Abdülmecit Öztürk, soupçonné d’appartenir au PKK, est placé en garde-à-vue. Il déclare aux policiers qu’il a fabriqué – avec Pinar Selek – l’engin explosif à l’origine de l’explosion meurtrière.

Depuis sa cellule, Pinar Selek apprend par la télévision qu’on l’accuse de terrorisme. Dans cette affaire, les doutes restent cependant nombreux. D’une part, les expertises judiciaires ont conclu à une fuite de gaz d’origine accidentelle, et non à l’explosion d’une bombe. D’autre part, Abdülmecit Öztürk expliquera par la suite qu’il ne connaissait pas l’universitaire, mais qu’il a dû « avouer » sous la torture des policiers. Pinar, alors âgée de 27 ans, sera emprisonnée deux ans et demi. Libérée en 2000, elle sera jugée et acquittée à trois reprises (en 2006, 2008 et 2011) par la douzième Cour pénale d’Istanbul. À chaque fois, la Cour de cassation a invalidé le jugement. Lors de son quatrième procès, ce 24 janvier 2013, un tribunal d’Istanbul, saisi une nouvelle fois l’a condamnée à la prison à perpétuité. Ses avocats vont faire appel.

Renforcer le climat nationaliste et casser un symbole militant
En attendant, Pinar, 41 ans, réside à Strasbourg, où elle poursuit une thèse sur les mouvements sociaux en Turquie. Elle ne peut plus retourner dans son pays d’origine qu’elle a quitté en 2009 mais elle continue à militer. Conférences, livres, création d’une association et d’une revue féministe… Cette femme engagée est très active. S’intéresser à d’autres choses, c’est l’un de ses moyens pour surmonter cette période difficile qui dure. Pinar explique cet acharnement judiciaire de deux manières : le pouvoir en place souhaite à la fois renforcer le climat nationaliste et en même temps casser une militante antinationaliste engagée sur le sort des minorités : transexuels, femmes, Kurdes, Arméniens… « Ils ont voulu tuer deux oiseaux avec une pierre » (sic).
Depuis ses deux ans et demi passés en prison, Pinar peut aussi compter sur le soutien de nombreuses personnes, y compris ses proches. Des politiques, des intellectuels, des avocats, des artistes prennent aussi publiquement sa défense et des comités de soutien se sont formés en Turquie, en Allemagne, en France…
Pour son procès du 24 janvier (ndlr : l’entretetien a été réalisé avant son quatrième procès) , elle cherchait d’ailleurs à mobiliser une délégation internationale « pour ne pas laisser seuls ses avocats et ses amis. »

« Quand l’amour existe, tu peux résister à tout »
Ce qu’elle juge le plus difficile dans cet acharnement judiciaire ? Que son « grand amour », journaliste, soit actuellement derrière les barreaux… « Mais la chose la plus importante, c’est que nous nous aimons ; nous sommes aimés »? , relativise Pinar. « Pas seulement l’amour de deux personnes mais aussi celui des amis, de la famille… Quand l’amour existe, tu peux résister à tout, je trouve ». Sa devise pourrait aussi être « Ce qui ne tue pas rend plus fort. »

En Turquie, Pinar Selek est désormais un symbole de lutte militante, que le pouvoir cherche à détruire, mais qui inspire des milliers de personnes.

 

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